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postheadericon Maurice Maréchal, 1934-2014

MAURICE MARÉCHAL

1934-2014

L’année 2014 qui s’achève a été une véritable faucheuse. Alors qu’elle était sur le point de se clore, elle nous a ravi l’un des personnages majeurs de la culture provençale, le grand tambourinaire Maurice Maréchal, décédé le 18 décembre dernier.

Cet homme remarquable était né à Marseille le 17 novembre 1934, et venait d’avoir quatre-vingts ans. Il est issu d’un milieu très caractéristique de l'évolution sociale qu'ont connue un bon nombre de familles provençales au cours de la première partie du XXe siècle. Originaire d'Embrun, et lui-même issu d'enseignants ayant des attaches en Savoie, son père, prénommé Paul, avait poursuivi cette ascension en occupant une chaire de professeur de physique-chimie au lycée Thiers de Marseille. Ayant fait elle aussi des études supérieures - fait relativement rare à cette époque pour une femme…-, sa mère, née Gilloux, était la fille unique de boulangers, installés depuis le Second Empire à Marseille, 55 Boulevard de la Madeleine - actuel Boulevard de la Libération, au bout de la Canebière et à côté de l’église des Réformés. Mais les Gilloux provenaient de Mormoiron, petit village comtadin blotti aux pieds du Ventoux. Ils y gardèrent longtemps leur vieille maison de famille, où les Maréchal allaient passer leurs vacances. C’est là que le jeune Maurice s’imprégna d'une civilisation populaire encore marquée par la société traditionnelle, dans un terroir resté à l'écart des mutations que vécurent les agglomérations provençales au milieu du XXe siècle. Il parlait volontiers du Mormoiron qu’il avait connu, et en était une véritable encyclopédie vivante – il y avait vu encore un charivari dans les années 1946 ! On ajoutera que les parents de Maurice Maréchal n’avaient pas renié leurs racines provençales. Son père possédait par exemple une riche bibliothèque consacrée à ce domaine, dans laquelle Maurice – lui aussi fils unique -  put enrichir sa culture provençale.

Pour en revenir à Marseille, il se trouve que la maison de ses parents a tenu une grande place dans la vocation musicale de Maurice Maréchal. Elle voisinait en effet avec l’un des plus grands tambourinaires marseillais du début du XXe  siècle, Alexis Mouren (1873-1950) qu’il fréquenta dès son enfance. Car pour couronner le tout, Maurice était le meilleur ami du petit-fils de Mouren, Gérard Cast, qui deviendra un grand professeur de Droit à l’université d’Aix. S’il a toujours parlé provençal, c’est un peu par hasard que notre jeune homme s’est mis au tambourin. Il se trouve qu’un jour, il fut surpris par un enseignant en train de parler provençal dans un couloir du Lycée Thiers. Ce professeur d’italien s’appelait Charles Castaing. Il était aussi tambourinaire dans le groupe marseillais La Couqueto. Non seulement Monsieur Castaing ne punit pas le jeune Maréchal, mais il l’encouragea, et l’incita à adhérer à La Couqueto, ce que ce dernier fit. Comment sont donc les choses ! Sans cette rencontre – comme le monde par rapport au nez de Cléopâtre ! -, le destin de nos instruments n’aurait pas été le même !

A La Couqueto, Maréchal se mit donc à jouer du tambourin. Et son professeur fut un autre grand musicien, Honoré Jouven. Ce flutiste et tambourinaire avait joué très jeune dans tout le terroir marseillais, comme musicien quasiment professionnel. Il animait des trains, des bals… C’est ainsi que l’élève tambourinaire fut à bonne école. Après la mort d’Alexis Mouren, sa famille léga à Maréchal toutes les collections du vieux tambourinaire : des carnets manuscrits, des instruments, des documents d’archives, des partitions. Tout le patrimoine du tambourin. Un véritable trésor, dont les plus anciens documents dataient du XVIIIe siècle. Grâce à sa formation ainsi qu’à ses archives, Maréchal put donc devenir un peu comme un pont entre deux générations de tambourinaires. Au moment où la plupart d’entre eux n’étaient désormais que des petits musiciens amateurs, faisant seulement danser les groupes folkloriques… au son de force canards. Il quitta plus tard La Couqueto pour rejoindre le Roudelet Felibren de Château-Gombert. Il en sera l’un des principaux animateurs,  avec le regretté Daniel Audry. Tous deux - l’un  pour la musique,  et l’autre pour la danse -, en firent l’une des meilleures formations folkloriques de Provence, et un véritable modèle pour toutes les autres. Afin d’être complet, on ajoutera que Maurice Maréchal a fait des études d’anglais, devenant professeur certifié à Marseille, durant quasiment toute sa vie professionnelle.

Quoi qu’il en soit,  Maréchal a été pour le XXe siècle ce que fut l’Aixois François Vidal cent ans auparavant. L’auteur d’une seconde renaissance. Dès 1957, il publiait un article dans la revue Folklore de France qui fit sensation et qui en choqua plus d’un. Il y critiquait le manque de niveau musical de la plupart des tambourinaires qui jouaient alors. Voici un extrait de ce qu’il affirmait : « Ce n’est pas du tambourin « instrument de musique provençal » dont nous voulons parler […], mais du tambourin « instrument de musique tout court » […]. En effet, il nous semble bien qu’en dépit des apparences, l’avenir de nos instruments soit menacé, et si ceux qui nous ont précédés pouvaient revenir sur cette terre, ils feraient cette constatation réconfortante et décourageante tout à la fois : il n’y a jamais eu, en Provence, autant de tambourinaires, ni si mauvais ! Ils assisteraient avec stupeur à des défilés où figurent, il est vrai, une vingtaine de « musiciens », mais qui ne jouent, en tout et pour tout, qu’une marche ou deux, et ceci pendant des heures s’exposant aux remarques ironiques et justifiées d’un public souvent plus avertis qu’eux-mêmes. […] C’est ainsi que le ménétrier provençal, en toute bonne foi, a cessé d’être « de son temps » pour devenir un embaumeur de momies… ».

Cet article a déclenché une véritable révolution. Avec son grand ami Maurice Guis qu’il avait connu à La Couqueto, Maurice Maréchal a été l’animateur d’un mouvement qui vit l’organisation d’examens, de stages, la publication d’une méthode et de partitions… C’est tout le petit monde du tambourin tel que nous le connaissons aujourd’hui qui est issu du travail immense, effectué par Maurice Maréchal et Maurice Guis. Il faut aussi évoquer la création des Musiciens de Provence et de L’Académie du Tambourin… Les recherches faites dans les partitions, afin d’y exhumer le répertoire des anciens tambourinaires. Son enrichissement par des pièces modernes. Car pour couronner le tout, Maréchal était aussi un excellent compositeur et mélodiste. Ainsi composa-t-il un tas de jolis morceaux que jouent aujourd’hui tous les tambourinaires de Provence. Cela est d’autant plus admirable que cet homme n’avait jamais fait d’études musicales et qu’il composa ses airs de manière naturelle, comme s’il était sorti d’un conservatoire. Un peu comme un oiseau qui chante sans ne l’avoir jamais appris. Il faudrait aussi évoquer le charretier qui collectionnait les colliers et les harnais, ayant même fait sur ce sujet une étude publiée par ses amis du Grihet dóu Plan dei Cuco.. L’homme qui parlait un provençal marseillais sublime. Et enfin parler de l’ami fidèle et généreux, toujours prêt à donner un conseil, offrir des musiques, des documents, des galoubets, des massettes et même des tambourins à ses jeunes compagnons, le tout avec une générosité sans fin…

Maurice Maréchal nous a donc quittés. Comme on dit pour les vieux sages d’Afrique, avec sa mort, c’est vraiment une bibliothèque qui a brûlé tour toujours. Mais pour toujours, cet homme remarquable restera vivant  dans le cœur de ceux qui l’ont aimé et admiré. Pour toujours, on dira  « Maréchal » comme on dit « Châteauminois », « Carbonnel», « Arnaud », « Vidal », « Couve », « Sicard » ; ou « Mouren », son vieux maître… Et à jamais, ses jolies mélodies circuleront dans toute la Provence, jouées par des tambourinaires qui tous, sont un peu comme ses enfants…

Remi VENTURE

MAURISE MARECHAL

1934-2014

L’annado 2014 qui s’acabo fuguè une vertadiero daiarello. Au moumen qu’èro à mand de feni, nous a mai pounchouna l’un di persounage majour de la culturo prouvençalo, lou grand tambourinaire Maurise Maréchal, que defuntè lou 18 de desèmbre passa.

Aquel ome de trìo nasquè à Marsiho lou 17 de nouvèmbre 1934, e venié d’agué vuetanto an. Sa famiho èro tipico de l’evoulucioun soucialo que couneiguèron un moulounas de gènt, en Prouvènço, dins la proumiero partido dóu siècle XXen. Soun paire, Pau, èro proufessour de fisico chimìo au licèu Thiers de Marsiho. Venié d’Embrun, ounte restavon li siéu – de mèstre d’escolo…-, après qu’aguèsson deja davala de Savoio. Sa maire, nascudo Gilous, avié fa tambèn d’estùdi qualitous – causo raro, à l’epoco, pèr uno fumo... Èro la chato unenco d’un boulangié, que sa famiho avié planta caviho, despèi lou tèms de Napouleoun III, au 55 Balouard de la Madaleno – atuau Balouard de la Liberacioun, que part, en aut de la Canebiero, à coustat de la glèiso di Refourma. Mai li Gilous tiravon de Mourmeiroun, vilajoun qu’es acata, dins la Coumtat, contro lou Ventour. Ié gardèron forço tèms lou vièi oustau de famiho, ounte li Maréchal anavon passa si vacanço. Es aqui que lou jouine Maurise s’embuguè de culturo nostro. Parlavo voulountié dóu Mourmeiroun qu’avié couneigu, e qu’èro, alor, un terraire rurau qu’avié pancaro viscu li gràndi boulegadisso dóu « Prougrès ». N’en fuguè quasimen un encicloupedìo, poupulàri e vivènto. Countavo voulountié si souveni d’eilabas – ié veguè encaro un charivarin dins lis annado 1946 ! Apoundren que li gènt de Maurise Maréchal avien pas jamai renega si racino prouvençalo. Soun paire avié uno tras que bello biblioutèco clafido de libre prouvençau, que fuguè forço preciouso au jouine Maurise – éu tambèn fiéu unique –, pèr que s’aprouvençaliguèsse…

Pèr n’en reveni à Marsiho, se capito que l’oustau de si gènt tenguè ‘no grando plaço dins la voucacioun musicalo de Maurise Maréchal. Es qu’èro vesin d’un di mai grand tambourinaire marsihés de la debuto dóu siècle vinten, Alèssi Mouren (1873-1950), que trevè tout lou tèms de soun enfanço. Es que pèr courouna lou tout, Maurise èro lou meiour ami dóu felen de Mouren, Girard Cast, que devendra pièi un grand proufessour de Dre à l’universita de-z-Ais. Se prouvençalejè sèmpre, es un pau d’asard que noste jouvenome se metiguè au tambourin. Se capito qu’un jour, fuguè sousprés pèr un ensignaire en trin de parla prouvençau, dins un courredou dóu Licèu Thiers. Aquéu proufessour  - d’italian -, ié disien Carle Castaing. Èro tambèn tambourinaire dins lou group marsihés La Couqueto. Noun soulamen Moussu Castaing baiè pas ges de punicioun au jouine Maréchal, mai l’encourajè e ié counseiè de rintra à La Couqueto, ço qu’aquéu faguè. Coume soun li causo ! Sènso aquéu rescontre – coume lou mounde raport au nas de Cleoupatro ! -, tant se pourrié que l’istòri de nòstis estrumen fuguèsse pas estado pariero!

A La Couqueto, adounc, Maréchal se metiguè à tambourineja. E soun proufessour fuguè un autre flame musician, Nourat Jouven. Aquéu flahutaire emai tambouriraire avié jouga, forço jouine, dins tout lou terraire marsihés, coume un musician quasimen proufessiounau. Fasié de trin, de balèti… Aqui, l’escoulan tambourinaire fuguè à bono escolo. Après la mort d’Alèssi Mouren, sa famiho leissè à Maréchal tóuti li couleicioun dóu vièi tambourinaire : de casernet manuscri, d’estrument, d’archiéu, de particioun. Tout lou patrimòni dóu tambourin. Un tresor vertadié, que li doucumen li mai ancian venien dóu siècle XVIIIen. Es ansin que dóumaci sa fourmacioun e sis archiéu, Maréchal devenguè un pau coume un pount entre dos generacioun de tambourinaire, au moumen que la majo-part d’aquéli èron de pichot musician amatour, que fasien soulamen dansa li group fóuclouri tout en canardejant. Un pau après, quitè La Couqueto pèr ana faire partido dóu Roudelet Felibren de Castèu-Goumbert. N’en sara l’un di animatour, en coumpagno dóu regreta Daniel Audry. Tóuti dous – l’un  pèr la musico, l’autre pèr la danso -, n’en faguèron l’un di meiour group fóuclouri de Prouvènço, emai un moudèlo vertadié pèr tóuti lis autre. Pèr èstre coumplèt, apoundren que Maurise Maréchal faguè d’èstùdi d’anglés, e que devenguè pièi proufessour certifica, quasimen touto sa vido proufessiounalo, à Marsiho

Que que n’en siegue, Maréchal fuguè, pèr lou siècle XXen, coume lou Sestian Francés Vidau cènt an aperavans. L’autour d’uno segoundo reneissènço. Tre 1957, faguè parèisse un article dins la revisto Folklore de France que tubè, e que n’en escalustrè mai d’un. Ié critiquè la manco de nivèu di tambourinaire qu’alor, lou mai souvènt, jougavon. Vaqui un escapouloun de ço que i’escriguè : « Ce n’est pas du tambourin « instrument de musique provençal » dont nous voulons parler […], mais du tambourin « instrument de musique tout court » […]. En effet, il nous semble bien qu’en dépit des apparences, l’avenir de nos instruments soit menacé, et si ceux qui nous ont précédés pouvaient revenir sur cette terre, ils feraient cette constatation réconfortante et décourageante tout à la fois : il n’y a jamais eu, en Provence, autant de tambourinaires, ni si mauvais ! Ils assisteraient avec stupeur à des défilés où figurent, il est vrai, une vingtaine de « musiciens » , mais qui ne jouent, en tout et pour tout, qu’une marche ou deux, et ceci pendant des heures s’exposant aux remarques ironiques et justifiées d’un public souvent plus avertis qu’eux-mêmes. […] C’est ainsi que le ménétrier provençal, en toute bonne foi, a cessé d’être « de son temps » pour devenir un embaumeur de momies… ».

Aquel article fuguè la debuto d’uno revoulucioun vertadiero. Emé soun grand ami Maurise Guis, que couneiguè à La Couqueto, Maurise Maréchal fuguè l’animatour d’un mouvemen que veguè l’ourganisacioun d’eisame, d’estage, la publicacioun d’uno metodo emai de particioun…  Es tout lou pichot mounde dóu tambourin que couneissèn à l’ouro d’aro que tiro dóu travai grandaras que faguèron Maurise Maréchal e Maurise Guis. Es pièi mestié d’evouca la creacioun di Musiciens de Provence e de L’Acadèmi dóu Tambourin… Li recerco facho dins li particioun, pèr recoubra lou repertòri dis ancian tambourinaire. Soun endrudimen  pèr de musico mouderno. Es que pèr courouna lou tout, Maréchal èro tambèn un coumpousitour em’un meloudisto requist. Faguè un moulounas de poulit moucèu que jogon, aro, tóuti li tambourinaire de Prouvènço. Acò ‘s d’autant mai amirable que noste ome faguè jamai d’estùdi musicau, e que coumpausè sis èr naturalamen, tant coume se fuguèsse sourti d’un counservatòri. Un pau coume un aucèu que canto, sènso que i’aguèsson jamai après. Faudrié tambèn evouca lou carretié, que couleiciounavo li coulas e lis arnescamen, aguènt fa, aqui dessus, un estùdi que publiquèron sis ami dóu Grihet dóu Plan dei Cuco. L’ome que patinavo un marsihés grana qu’es pas de dire. E pièi parla de l’ami fidèu em’abelan, sèmpre lèst pèr baia de counsèu, pourgi de musico, de doucumen, de galoubet, de masseto, emai meme, de tambourin à si jouìni coumpan, em’uno generousita sènso fin…

Adounc, Maurise Maréchal nous a quita. Coume se dis di vièi sage d’Africo, emé sa mort, es de-bon uno biblioutèco qu’a brula pèr toujour. Mai pèr sèmpre, aquel ome grana restara viéu dins lou cor d’aquéli que l’amirèron, e que l’amèron. Pèr toujour, se dira « Maréchal » coume se dis « Châteauminois », « Carbounèu », « Arnaud », « Vidau », « Couvo », « Sicard », o « Mouren », soun vièi mèstre… E pèr sèmpre, sis èr galant barrularan dins touto la Prouvènço, jouga pèr de tambourinaire que soun tóuti, un pau, coume sis enfant…                                                                             Roumié VENTURO

 

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O famule musarum, vale atque vale !

En ces derniers jours de  l’année, l’atmosphère provençale résonne d’une bien triste mélodie suite à la disparition de l’un de ses plus dévoués serviteurs. Maurice Maréchal nous a quitté paisiblement le 18 décembre dernier à l’âge de 80 ans, emportant avec lui une petite partie de l’âme de la Provence. Profondément attaché à sa terre natale et à son patrimoine, il n’a eu de cesse de les mettre en valeur, se posant comme le témoin privilégié de cette culture traditionnelle. C’est avec passion qu’il l’a toujours partagée, la gardant vivace et pérenne.

Tambourinaire d’exception, il fut l’ambassadeur du patrimoine musical provençal et plus particulièrement de son instrument emblématique, le galoubet-tambourin, dont il avait initié la redécouverte dès les années 1950 et qu’il n’avait cessé depuis de soutenir et d’animer. Musicien de talent, il a considérablement développé ces pratiques instrumentales, sa détermination à trouver « l’expression juste » ayant inspiré de nombreux tambourinaires. Toujours curieux de découvrir de nouvelles facettes de son instrument, il a soutenu l’ouverture et l’émancipation du patrimoine traditionnel – participant notamment à la revalorisation des musiques historiques (Les musiciens de Provence) ou à l’approfondissement des dimensions classiques du galoubet-tambourin (L’académie du Tambourin). Compositeur, il a offert aux musiciens un répertoire riche de près de 200 musiques ; répertoire à son image, éloigné des sentiers classiques, n’excluant ni la fantaisie ni l’humour et profondément empreint d’un attachement sans faille aux patrimoines provençaux. Une musique à partager, reflet de sa vision généreuse des traditions et de leurs maintenances.

Intimement attaché à son terroir marseillais et doté d’une aisance certaine pour le maniement des langues et des mots, il faisait sonner à merveille lou parla marsihés. Ses qualités d’orateur transmettant sa passion avec bonhomie et enthousiasme. Maurice Maréchal a toujours mis ses  nombreux talents au service des autres. Provençaux et musiciens regrettent déjà la simplicité et la chaleur avec lesquelles il délivrait ses conseils, ses anecdotes et sa joie de vivre.

En 2000, avec tout l’humour subtil et la dérision qui le caractérisaient, il souhaitait voir ériger un arc de Triomphe à la gloire des illustres tambourinaires, sur lequel serait gravé le dithyrambe suivant :

O famule musarum !

Gratias omnes tibi semper et ubique agimus ! Amice dilectissime, qui labore improbo, in omni loco et tempore, non solum aperte sed etiam maxima cum verecundia agis, omni cum studio peritoque flatù tibiam tuam eburneam peroptime inflas, atque, quotidie, multos tuos discipulos, angelico more studiosissime doces ad majorem tamburini provenciaeque nostrae gloriam,

vale atque vale !

["Ô serviteur des muses ! Nous te rendons grâce toujours et partout. Ami très cher qui, avec obstination, en tous lieux et en tous temps, travailles au grand jour comme dans l'ombre, tu enfles habilement ta flûte d'ivoire de toute ton âme et d'un souffle expert, et tous les jours, tel un ange, tu enseignes tes nombreux élèves pour la plus grande gloire du tambourin et de notre Provence. Adieu et bonne route !"]

Un hymne qui semble aujourd’hui retentir en son hommage,

« ô serviteur des muses.

Adieu et bonne route ! ».

Pour l’Académie du Tambourin, Sylvain Brétéché

 

 

postheadericon La première Académie du Tambourin, par Maurice Guis

LA PREMIERE ACADEMIE DU TAMBOURIN

Sous le nom d’Académie du Tambourin on connait sans doute la “bande de tambourinaires” portant ce nom et de création relativement récente que j’ai l’honneur de diriger. Mais connaît-on le groupement dont elle a repris le nom ? L’histoire de ce groupement aixois du XIXe siècle est riche d’enseignements.

Les tambourinaires de la fin l’Ancien Régime, surtout nombreux autour de Marseille et Aix, consacraient, on le sait, l’essentiel de leur activité à animer les bals des très nombreuses fêtes votives ou de corporations, à donner des sérénades et à accompagner certaines cérémonies religieuses traditionnelles comme la procession de Notre-Dame de la Garde à Marseille ou celle de la Fête-Dieu à Aix. Ils étaient de véritables semi-professionnels exerçant un second métier (agriculteurs, commerçants, luthiers, cabaretiers...). Ce professionnalisme semble avoir été le gage d’une qualité certaine comme en attestent la réputation et les œuvres des deux Arnaud, père et fils, tambourinaires, luthiers et compositeurs marseillais, considérés comme les premiers de leur temps.

Cependant, avec les bouleversements politiques, une évolution importante se produisit. La Révolution puis le Premier Empire développèrent l’usage des cuivres que les progrès des techniques et l’industrialisation avaient rendus fiables et d’un coût très accessible. Leur son puissant s’adaptait on ne peut mieux à toutes les manifestations de plein air. D’abord formés pour l’usage militaire, les orchestres d’harmonie de tardèrent pas à être copiés dans toutes les régions et tout particulièrement en Provence où ils se mirent à concurrencer très sérieusement nos instruments régionaux. Déjà, à la Restauration, le préfet Villeneuve, dans sa Statistique des Bouches du Rhône, déplore la disparition, selon lui prochaine, du galoubet-tambourin. Même si de fait les tambourinaires trouvèrent encore à s’employer dans les campagnes et les banlieues des grandes villes, le sentiment général était celui d’une décadence et d’une disparition à plus ou moins longue échéance.

C’est dans ce contexte de crise qu’entra en scène l’Aixois François Vidal (1832-1911). Ayant appris le métier de typographe et à ce titre détenteur d’une certaine culture qu’il améliora en autodidacte, il entra à la Bibliothèque Méjanes où il gravit les échelons jusqu’à atteindre celui de Conservateur. Parallèlement il s’enthousiasma pour Mistral et la Renaissance Provençale et fut l’un des premiers à s’engager pour la cause félibréenne. Il faisait par ailleurs de la musique en amateur, jouant dans divers ensembles et s’essayant, selon ses propres dires, à toutes sortes d’instruments : violon, ophicléide, flageolet, basse... Mais sa rencontre avec le tambourin devait être décisive puisque cet instrument unissait à ses yeux la tradition provençale et la musique. Mistral avait rénové la langue provençale. Vidal se jura de faire de même pour le galoubet-tambourin.

Sa croisade commença en 1862 avec l’ouvrage qui l’a rendu célèbre : Lou Tambourin, oeuvre littéraire plus que scientifique mais qui eut le mérite d’attirer l’attention sur l’instrument et par là même de le sauver. Il est évident que ceci n’alla point sans quelques concessions, qu’on peut juger regrettables, à l’idéologie du moment. En ce qui concerne la musique, il fallait à tout prix ne jouer sur l’instrument provençal que des “airs nationaux”. Vidal s’efforça donc de les collecter. Malheureusement à l’examen on voit sans peine qu’il s’agit presque toujours d’emprunts à la musique parisienne des époques antérieures... Il devait en résulter une certaine sclérose du répertoire contre laquelle nous n’avons pas fini de nous battre. Le retentissement fut grand et l’ouvrage fut couronné par Mistral lui-même en tant qu’ouvrage littéraire, précision qui s’impose.

Ce succès encouragea Vidal à caresser d’autres projets. Ainsi, nous dit-il, «Puisque nous avons à Aix une école de musique que nous appelons Conservatoire, pour quelle raison n’y enseignerait-on pas à jouer du Galoubet, comme des instruments de toute espèce ? Evidemment ce serait là une conservation nationale ne pouvant que faire honneur aux Consuls qui l’entreprendraient et qui formerait une pépinière de Tambourinaires, la véritable école provençale de la musique...» Et il ajoute : «En attendant l’accomplissement de ces voeux, nous allons faire appel aux Tambourinaires des environs pour musiquer dans notre assemblée, à laquelle sont conviés aussi les jeunes amateurs qui voudront venir s’essayer au maniement du Galoubet... Tout se fera pour l’amour de la patrie, tout se fera pour l’honneur de Provence».

Nous n’évoquerons pas ici les heurs et malheurs de la classe de tambourin du Conservatoire, acquise de haute lutte et fermée à la mort de son titulaire Gaspard Michel sans avoir véritablement pu former les instrumentistes dont Vidal rêvait. Comme c’est trop souvent le cas, hélas !, on s’était surtout soucié de faire campagne sans se préoccuper de savoir si l’on avait le potentiel nécessaire pour réussir. Or le seul professeur possible avait dépassé les 80 ans et les élèves étaient inexistants...

Pour ce qui concerne l’Académie du Tambourin, Vidal entrevoyait sans doute une sorte d’amicale des tambourinaires. Il envisageait de proposer dans ce cadre diverses initiatives pour la promotion du tambourin et des tambourinaires. A l’image de ce qui se faisait pour les orchestres d’harmonie et les orphéons, l’Académie du Tambourin devait donc organiser des concours, pratique jusque-là inconnue.

Le jour de Noël 1864, Le Mémorial d’Aix annonça donc la création du groupement en ces termes : «L’âme du Roi René a dû tressaillir ! Une académie de tambourins vient d’être créée à Aix, et des adeptes jeunes et nombreux ayant le feu sacré au cur veulent réhabiliter et propager l’instrument national de Provence. Ils ont formé une ligue pour combattre l’envahissement toujours croissant de la cuivrerie musicale... Nous faisons des vœux pour la réussite de cette entreprise patriotique». La langue provençale ne pouvait avoir qu’une place privilégiée au sein du nouveau groupement dont l’appellation officielle fut ”Acadèmi dóu Tambourin”. Vidal rédigea sans doute lui-même, sans le signer, cet article enthousiaste. La devise de la nouvelle compagnie fut : «Qu bèn fara bèn trouvara» (Qui bien fera, bien trouvera). Il rima également pour l’Académie, en provençal comme il se doit, Lei Coumendamen dóu Tambourin .

Comment cette académie était-elle organisée ? Le président en était évidemment Gaspard Michel, doyen des tambourinaires auquel Vidal avait attribué le titre, inventé pour lui, de Capoulié dei Tambourinaire. Mais la cheville ouvrière était bien Vidal lui-même, qui avait pris en charge le secrétariat. Il y avait également une liste de membres honoraires : Edmond Audran, de l’Opéra-Comique, professeur au Conservatoire de Marseille, Félicien Agard, conseiller municipal d’Aix, le chanoine Charbonnier, ancien organiste de la métropole Saint-Sauveur, Charles Chaubet, homme de lettres à Paris, Maître Contencin, avocat, président du Cercle musical d’Aix, Féraud-Giraud, président du Comice agricole d’Aix, Jean-Baptiste Gaut, félibre et homme de lettres à Aix, Martelly, poète provençal et compositeur à Pertuis, Poncet, maître de chapelle à la métropole d’Aix, Charles de Ribbe, avocat, conseiller municipal d’Aix, Sylvain de Saint-Etienne, homme de lettres à Paris. Sans doute ces membres étaient-ils choisis pour leur prestige et leur entregent éventuel auprès des autorités. Il est plus étrange que les archives de Vidal n’aient mentionné aucune liste précise des membres et qu’il ne soit pas question de statuts. C’est tout juste si, par recoupement, il est possible de trouver quelques noms de musiciens, d’ailleurs peu représentatifs, ayant participé aux activités de l’Académie du Tambourin : Pazery, Maximin Girard, de La Fare, Pierre Boutin. L’Académie du Tambourin était donc peu structurée. Ceci n’a rien de bien étonnant si l’on sait que les groupements félibréens ont longtemps fonctionné dans une absence quasi totale de règlements. On comptait sans doute sur l’enthousiasme et la bonne volonté pour y suppléer…

Il est vraisemblable que les tambourinaires étaient conviés pas courrier à des rencontres plus ou moins régulières et informelles, notamment lors des fêtes votives du terroir d’Aix : fête de la Saint-Marc à Meyreuil, plantation du mai devant la demeure des membres d’honneur de l’Académie du Tambourin (1867).

Il y avait enfin la participation à l’organisation des concours de tambourin qui, selon le souhait de Vidal commençaient à apparaître. Ainsi, au Concours de Pertuis du 16 août 1866, Vidal et Gaut figuraient au jury. Des membres de l’Académie se produisirent hors concours à Cavaillon, le 2 septembre 1866 et à deux reprises au Concours d’Aix du 18 avril 1869. Au programme figuraient volontiers les œuvres de leur chef, Gaspard Michel.

Après la guerre de 1870, en raison peut-être des événements, l’Académie du Tambourin ne fit plus beaucoup parler d’elle. En 1883 Lombardon, dans sa Notice sur le Tambourin, en parle déjà au passé. Cependant, en 1889, lors de l’Exposition Universelle pour le centenaire de la Révolution, une bande de tambourinaires fut envoyée à Paris sous le nom d’Académie du Tambourin. Le répertoire musical de leur intervention fut imprimé par les soins de Vidal, avec un exemplaire sur peau de tambourin (!) destiné à Paul Arbaud, le célèbre bibliophile, qui était aussi leur mécène. Il est bien dans la ligne des “airs nationaux” chers à Vidal avec pour seule exception quelques airs félibréens et les compositions de Michel.

A la suite de ces manifestations Le Mémorial d’Aix du 14 septembre 1889 se fit l’écho d’un article paru dans la presse parisienne sous le titre “Le Tambourin à Paris” : «S’il faut en croire les journaux de Paris le tambourin n’aurait produit, ainsi qu’il fallait s’y attendre, qu’un médiocre effet parmi les musiques pittoresques. Voici ce qu’en dit le chroniqueur musical du Temps : “Le galoubet peut être pittoresque en Provence, la cornemuse peut l’être dans les Abbruzes, en Auvergne ou en Cornouaille... mais dans la salle du Trocadéro ! Aussi tel instrument a-t-il produit un effet grotesque, tel autre, le galoubet surtout, a été d’une mesquinerie inattendue... L’Académie du Tambourin d’Aix n’a pas brillé ; ses membres ne jouent même pas à l’unisson ; tantôt l’un tantôt l’autre - car je suppose que ce n’est pas toujours le même - fait avec son galoubet un accompagnement de fantaisie ». Et le journaliste du Mémorial d’ajouter : «Nous ne sommes pas de ceux qui aiment à sortir les choses du cadre pour lequel elles sont faites. Le tambourin mérite d’être encouragé en Provence, il est déplacé au Trocadéro».

Ce compte rendu est assez troublant. Sans doute pourrait-on penser, comme on l’a fait peut-être à Aix, à quelque racisme anti-provençal. Le journaliste - Vidal lui-même sans doute - avance l’excuse de la nature agreste du tambourin. Plus sérieusement on peut se demander si le jeu de cette équipe, qui avait sans doute vieilli, était assez négligé. En outre on se doute que, là encore, on avait cherché à faire un “coup” publicitaire avant de soigner la qualité musicale. S’il est d’ailleurs possible de retrouver des documents invitant des tambourinaires à telle ou telle manifestation, nous n’avons pas trace de répétitions ou de séances de travail, et pour cause.

Quoi qu’il en soit il semble bien que cette manifestation ait été la dernière. Cet échec relatif auquel s’ajoutait la disparition de la classe du Conservatoire a sans doute quelque peu découragé Vidal, qui ne semble plus avoir tenté de raviver ou de reformer sa compagnie.

Vidal pensait bien faire en engageant l’instrument dans la voie d’une “folklorisation” dont il a encore du mal à se défaire dans l’esprit du grand public. Si elle a contribué puissamment à sauver l’instrument provençal, son entreprise a sans doute échoué par manque de professionnalisme. Il est vrai qu’à son époque on croyait encore au mythe romantique selon lequel l’enthousiasme tiendrait lieu de métier ! Le fait que le tambourin soit désormais sérieusement enseigné en Conservatoire depuis plus de 30 ans a permis la réalisation des vœux de Vidal. Ainsi en 1989, cent ans après que la première Académie du Tambourin ait fini sa carrière, une jeune équipe issue du Conservatoire d’Aix se constitua et souhaita se rattacher à sa devancière en reprenant ce nom qu’elle s’efforce d’honorer.

Maurice Guis

 

postheadericon Marche des Rois, cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence

La Marche des Rois à la Cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence

On attribue la création de cette cérémonie à l'abbé Supriès, organiste à Saint Sauveur dans les premières années du XIXe siècle. Elle est donnée chaque année l'après-midi du dimanche qui suit l'épiphanie.

Elle commence par la Pastorale de Charbonnier (1796-1871) qui a réuni des airs de noëls de différents auteurs et les a munis de paroles en provençal pour évoquer les divers moments de la Nativité (arrivée à Bethléem, refus de la Sainte Famille à l'auberge, annonce aux bergers...). Elle est chantée par les Petits Chanteurs d'Aix accompagnés par l'orgue.

Pour la Marche des Rois proprement dite, on fait appel à des personnages costumés figurant les rois, leur cortège et la Sainte Famille. L'air de la marche des rois est joué en crescendo par l'orgue puis l'orchestre pour évoquer le cheminement puis l'arrivée des rois. Après une marche triomphale on entend le "Christus natus est" (dont la musique est attribuée à Supriès) symbolisant l'adoration des mages. Il est précédé et suivi d'aubades de tambourin. La cérémonie se termine par la marche des rois jouée descrescendo pendant que les rois s'en vont.

Dans cette manifestation très suivie par les Aixois, les tambourinaires interviennent à de nombreuses reprises. Actuellement, c'est l'Académie du Tambourin qui a l'honneur d'interpréter chaque année les aubades et marches traditionnelles.

Maurice Guis

 

 

postheadericon Les instruments

L'ensemble galoubet-tambourin est une version très perfectionnée de la flûte à trois trous du Moyen-Age, de tous temps associée à une percussion.


Le galoubet (ou flûtet) se joue de la main gauche tandis que la droite vient frapper un grand tambourin, au son grave et profond.

Devenu l'instrument identitaire de la Provence il a été pratiqué, au cours des trois derniers siècles, par des musiciens populaires toujours en phase avec
la musique de leur temps.

 

Le Galoubet-Tambourin

La flûte "à une main", flûte harmonique percée de trois trous, très répandue en Europe au Moyen-Age et à l'époque de la Renaissance, est encore jouée sous différentes formes au Portugal, en Espagne, Angleterre, Pays Basque, Provence. La main demeurée libre accompagne en frappant un instrument à percussion (tambourin à peaux ou tambourin à cordes).

En Provence ces deux instruments prennent le nom de galoubet-tambourin (ou flûtet- tambourin), Le galoubet est de taille très réduite, d'où l'émission de sons très aigus (sixième et septième octaves). Le tambourin à peaux qui l'accompagne, sculpté dans le noyer, est agencé de manière à produire un son continu semblable à un bourdon.

Au Moyen-Age et au XVIe siècle on utilisait un flûtet de plus grande taille et un petit tambourin. Au XVIIIe siècle le galoubet pouvait être accompagné par un tambourin à cordes, sorte de caisse oblongue munie de six cordes accordées en bourdon.

 


Dans la galerie de paysages et portraits stéréotypés qui fait la joie des touristes, le tambourinaire figure en bonne place. Il est en effet pourvu de tous les ingrédients propres à mettre en valeur l'exotisme provençal. Mais qu'existe-t-il derrière l'idée reçue montrant le tambourinaire déguisé en " gardian " et faisant danser la farandole au pied du Lubéron ou des Alpilles ?

Les instruments traditionnels provençaux, qu'on a l'habitude de désigner par le seul terme de "tambourin", furent l'objet de la sollicitude des pères de la Renaissance Provençale, Frédéric Mistral et ses amis. Cependant ils n'étaient pas ignorés des érudits de la fin de l'Ancien Régime. L'artisan principal du travail effectué au XIXe siècle sur la musique régionale est en fait François Vidal (1832-1911), auteur en 1864 de l'ouvrage "Lou Tambourin : istòri de l'estrumen prouvençau". L'idée directrice de Vidal est de démontrer que galoubet et tambourin sont les instruments provençaux par excellence. Leur paternité est attribuée aux grands ancêtres mythiques du peuple provençal les celto-ligures, les grecs voire les sarrasins ou les troubadours. Dans la dernière partie de son ouvrage, il fixe les normes du répertoire "d'airs nationaux". Forgée entièrement pour revaloriser des instruments populaires en pleine décadence, cette légende ne repose évidemment sur aucun fondement. En fait le galoubet et le tambourin font partie d'un fonds d'instruments commun à toute l'Europe du Moyen Age.

L'iconographie atteste l'existence de ce qu'on appelait alors la flûte à une main ou, plus tard, la tibie. Une flûte à une main, car dotée de trois trous seulement, donnait la possibilité au musicien de faire en même temps une batterie sur un tambour pendu au bras, autour du cou ou à la main. Instrument à danser par excellence, ce couple d'instruments restera très pratiqué dans tout l'Occident jusqu'à la Renaissance, comme le montrent de très nombreux documents.

 

Devant l'évolution des goûts musicaux et en particulier l'implacable concurrence des violes et des violons, la flûte à une main et son inséparable percussion commencèrent, dès le milieu du XVIe siècle, à connaître un déclin apparemment inexorable. Instruments déchus, ils se réfugièrent dans le petit peuple, selon une évolution comparable à celle de la vielle à roue. Certaines régions disséminées dans toute l'Europe continuèrent à les pratiquer avec plus ou moins de constance. Subissant dans chacun de ces territoires une évolution particulière, ils y prirent rang d'instruments "nationaux". La région d'Oxford, dans le Royaume-Uni, en fit le tabor-pipe, le Pays Basque le txistu et le tamboril ou le tun-tun, l'Andalousie la flauta y tamboril. Nous retrouvons par ailleurs des instruments voisins au Portugal, aux Iles Baléares, dans les Flandres, sans oublier l'Amérique Centrale où ils ont pu être importés par les colonisateurs espagnols.

 

Si la flûte associée au tambour fut sans doute très tôt pratiquée en Provence comme partout ailleurs, ce n'est qu'à partir du XVIIe siècle que ce couple d'instruments y prend sa forme définitive. Les historiens ont montré que cette période est celle où se sont constitués en France les arts et traditions populaires qui perdureront jusqu'au triomphe de la révolution industrielle. Galoubet et tambourin font évidemment partie de ce patrimoine, ils furent particulièrement mis en valeur par la mode parisienne du "champêtre" et de la "bergerie" qui se développa à partir de la Régence. Les artistes du temps, quelles que soient leurs origines géographiques, contribuèrent à ce nouvel essor, voyant dans le tambourin une des principales images de l'exotisme provençal. Les peintres Joseph Vernet, Jacques Rigaud, Antoine Raspal, Nicolas Lancret font figurer des tambourinaires et d'autres musiciens populaires sur leurs tableaux. Les musiciens composent des "tambourins" dont le rythme est censé imiter celui de l'instrument provençal. Ce dernier figure dans les grands orchestres parisiens. Plusieurs musiciens provençaux n'hésitent pas à "monter" à Paris et à s'y établir comme tambourinaires. C'est le cas du Salonnais Joseph-Noël Carbonel (1741-1804) et de l'Aixois Jean Joseph Châteauminois (1744-1815) qui jouent, composent et publient leurs oeuvres dans la capitale. Ils ne sont pas les seuls. Citons aussi les Lavallière, Marchand et Lemarchant qui, bien que vraisemblablement dépourvus d'attaches provençales, ont aussi pratiqué et illustré le tambourin Ce passé a laissé des traces indélébiles d'une part dans la facture des instruments qui n'a pas sensiblement évolué depuis cette époque, d'autre part dans la pratique populaire du galoubet-tambourin grandement influencée par la musique savante. En effet le répertoire comporte de très nombreuses transcriptions (notamment des extraits d'opéras et d'opéras-comiques) et consacre la prédominance de la musique écrite.

 

Le début du XIX ème siècle mit fin à cet âge d'or. La Révolution et la chute de la monarchie firent oublier la mode champêtre si profitable à nos instruments. Concurrencés par les orchestres d'harmonie, les tambourinaires désertèrent la plus grande partie du département du Vaucluse et l'arrondissement d'Arles. Seuls les terroirs de Marseille, d'Aix et Toulon constituèrent un réduit dans lequel la pratique populaire du galoubet-tambourin put se maintenir en attendant des jours meilleurs.

Si la renaissance félibréenne a sensiblement déformé la réalité de la pratique du tambourin, il n'en reste pas moins que c'est grâce à cette codification que l'instrument a pu survivre durant une période difficile.Vidal fonda en 1864 à Aix une Académie du Tambourin et parvint même à faire créer une éphémère classe au Conservatoire d'Aix. Son action fut poursuivie par les Marseillais Ernest Couve (né en 1849), fondateur du Coumitat Mantenèire dóu Tambourin en 1888, et par Ludovic Lombardon-Montézan (1839-1917). La création des groupes folkloriques après la guerre de 1914-1918 fournit un nouveau débouché à l'activité des tambourinaires, même si cela se fit au prix de l'appauvrissement de leur pratique. Cette activité, quoique réduite, ne demandait qu'à revivre. Après le Saint-Rémois Joseph Olivier (1898-1964) qui publiait en 1954 Musiques et rythmes traditionnels des troubadours : le tambourin provençal, Maurice Maréchal, alors jeune tambourinaire marseillais, jetait en 1957, dans un article de Folklore de France, les bases d'une renaissance prenant en compte la dimension purement musicale de l'instrument.

 

Ce travail fut en grande partie celui de la Commission du Tambourin dirigée par René Nazet, qui publia en 1964 la Méthode Elémentaire de Galoubet et Tambourin due à Maurice Guis, Maurice Maréchal et René Nazet, ouvrage qui faisait cruellement défaut, créa en 1969 un examen annuel de tambourinaire et publia des anthologies. En 1970, en compagnie de plusieurs de leurs collègues, Maurice Maréchal, Maurice Guis et René Nazet fondaient l'ensemble de musique ancienne Les Musiciens de Provence dont la réputation dépassa les frontières de la Provence et eut une influence considérable sur le renouveau d'intérêt porté aux instruments provençaux. Le groupe occitaniste Mont-Joia participa également à ce nouvel essor. En 1980, Le Concert Champêtre, fondé par Maurice Guis, contribua à replacer le tambourin dans son contexte du XVIlle siècle.

 

Les instruments régionaux de Provence semblent aujourd'hui définitivement sauvés. Ce début du XXIe s. voit en effet cohabiter une pratique folklorique qui permit en son temps à l'instrument de survivre et une pratique "classique" ou "savante" héritée du passé, comparable à celle qu'ont toujours connue les instruments de musique "nobles".

 

Il existe des classes de tambourin dans les conservatoires et écoles de musique (Aix, Avignon, Arles, Martigues...) formant des virtuoses ou ensembles qui peuvent se produire en concert. Luthiers et compositeurs proposent des instruments et des œuvres de qualité. On ne saurait oublier en ce domaine l'activité inlassable de Marius Fabre qui pendant près de soixante-dix ans a fabriqué galoubets et tambourins dans son atelier de Barjols ; sa succession est assurée par son fils André Fabre. Les tambourinaires possèdent même une revue éditée par la Fédération Folklorique Méditerranéenne, L'Echo du Tambourin.

Rémi Venture