Bienvenue sur le site de l'Académie du Tambourin La 1ère Académie du Tambourin La première Académie du Tambourin, par Maurice Guis

postheadericon La première Académie du Tambourin, par Maurice Guis

LA PREMIERE ACADEMIE DU TAMBOURIN

Sous le nom d’Académie du Tambourin on connait sans doute la “bande de tambourinaires” portant ce nom et de création relativement récente que j’ai l’honneur de diriger. Mais connaît-on le groupement dont elle a repris le nom ? L’histoire de ce groupement aixois du XIXe siècle est riche d’enseignements.

Les tambourinaires de la fin l’Ancien Régime, surtout nombreux autour de Marseille et Aix, consacraient, on le sait, l’essentiel de leur activité à animer les bals des très nombreuses fêtes votives ou de corporations, à donner des sérénades et à accompagner certaines cérémonies religieuses traditionnelles comme la procession de Notre-Dame de la Garde à Marseille ou celle de la Fête-Dieu à Aix. Ils étaient de véritables semi-professionnels exerçant un second métier (agriculteurs, commerçants, luthiers, cabaretiers...). Ce professionnalisme semble avoir été le gage d’une qualité certaine comme en attestent la réputation et les œuvres des deux Arnaud, père et fils, tambourinaires, luthiers et compositeurs marseillais, considérés comme les premiers de leur temps.

Cependant, avec les bouleversements politiques, une évolution importante se produisit. La Révolution puis le Premier Empire développèrent l’usage des cuivres que les progrès des techniques et l’industrialisation avaient rendus fiables et d’un coût très accessible. Leur son puissant s’adaptait on ne peut mieux à toutes les manifestations de plein air. D’abord formés pour l’usage militaire, les orchestres d’harmonie de tardèrent pas à être copiés dans toutes les régions et tout particulièrement en Provence où ils se mirent à concurrencer très sérieusement nos instruments régionaux. Déjà, à la Restauration, le préfet Villeneuve, dans sa Statistique des Bouches du Rhône, déplore la disparition, selon lui prochaine, du galoubet-tambourin. Même si de fait les tambourinaires trouvèrent encore à s’employer dans les campagnes et les banlieues des grandes villes, le sentiment général était celui d’une décadence et d’une disparition à plus ou moins longue échéance.

C’est dans ce contexte de crise qu’entra en scène l’Aixois François Vidal (1832-1911). Ayant appris le métier de typographe et à ce titre détenteur d’une certaine culture qu’il améliora en autodidacte, il entra à la Bibliothèque Méjanes où il gravit les échelons jusqu’à atteindre celui de Conservateur. Parallèlement il s’enthousiasma pour Mistral et la Renaissance Provençale et fut l’un des premiers à s’engager pour la cause félibréenne. Il faisait par ailleurs de la musique en amateur, jouant dans divers ensembles et s’essayant, selon ses propres dires, à toutes sortes d’instruments : violon, ophicléide, flageolet, basse... Mais sa rencontre avec le tambourin devait être décisive puisque cet instrument unissait à ses yeux la tradition provençale et la musique. Mistral avait rénové la langue provençale. Vidal se jura de faire de même pour le galoubet-tambourin.

Sa croisade commença en 1862 avec l’ouvrage qui l’a rendu célèbre : Lou Tambourin, oeuvre littéraire plus que scientifique mais qui eut le mérite d’attirer l’attention sur l’instrument et par là même de le sauver. Il est évident que ceci n’alla point sans quelques concessions, qu’on peut juger regrettables, à l’idéologie du moment. En ce qui concerne la musique, il fallait à tout prix ne jouer sur l’instrument provençal que des “airs nationaux”. Vidal s’efforça donc de les collecter. Malheureusement à l’examen on voit sans peine qu’il s’agit presque toujours d’emprunts à la musique parisienne des époques antérieures... Il devait en résulter une certaine sclérose du répertoire contre laquelle nous n’avons pas fini de nous battre. Le retentissement fut grand et l’ouvrage fut couronné par Mistral lui-même en tant qu’ouvrage littéraire, précision qui s’impose.

Ce succès encouragea Vidal à caresser d’autres projets. Ainsi, nous dit-il, «Puisque nous avons à Aix une école de musique que nous appelons Conservatoire, pour quelle raison n’y enseignerait-on pas à jouer du Galoubet, comme des instruments de toute espèce ? Evidemment ce serait là une conservation nationale ne pouvant que faire honneur aux Consuls qui l’entreprendraient et qui formerait une pépinière de Tambourinaires, la véritable école provençale de la musique...» Et il ajoute : «En attendant l’accomplissement de ces voeux, nous allons faire appel aux Tambourinaires des environs pour musiquer dans notre assemblée, à laquelle sont conviés aussi les jeunes amateurs qui voudront venir s’essayer au maniement du Galoubet... Tout se fera pour l’amour de la patrie, tout se fera pour l’honneur de Provence».

Nous n’évoquerons pas ici les heurs et malheurs de la classe de tambourin du Conservatoire, acquise de haute lutte et fermée à la mort de son titulaire Gaspard Michel sans avoir véritablement pu former les instrumentistes dont Vidal rêvait. Comme c’est trop souvent le cas, hélas !, on s’était surtout soucié de faire campagne sans se préoccuper de savoir si l’on avait le potentiel nécessaire pour réussir. Or le seul professeur possible avait dépassé les 80 ans et les élèves étaient inexistants...

Pour ce qui concerne l’Académie du Tambourin, Vidal entrevoyait sans doute une sorte d’amicale des tambourinaires. Il envisageait de proposer dans ce cadre diverses initiatives pour la promotion du tambourin et des tambourinaires. A l’image de ce qui se faisait pour les orchestres d’harmonie et les orphéons, l’Académie du Tambourin devait donc organiser des concours, pratique jusque-là inconnue.

Le jour de Noël 1864, Le Mémorial d’Aix annonça donc la création du groupement en ces termes : «L’âme du Roi René a dû tressaillir ! Une académie de tambourins vient d’être créée à Aix, et des adeptes jeunes et nombreux ayant le feu sacré au cur veulent réhabiliter et propager l’instrument national de Provence. Ils ont formé une ligue pour combattre l’envahissement toujours croissant de la cuivrerie musicale... Nous faisons des vœux pour la réussite de cette entreprise patriotique». La langue provençale ne pouvait avoir qu’une place privilégiée au sein du nouveau groupement dont l’appellation officielle fut ”Acadèmi dóu Tambourin”. Vidal rédigea sans doute lui-même, sans le signer, cet article enthousiaste. La devise de la nouvelle compagnie fut : «Qu bèn fara bèn trouvara» (Qui bien fera, bien trouvera). Il rima également pour l’Académie, en provençal comme il se doit, Lei Coumendamen dóu Tambourin .

Comment cette académie était-elle organisée ? Le président en était évidemment Gaspard Michel, doyen des tambourinaires auquel Vidal avait attribué le titre, inventé pour lui, de Capoulié dei Tambourinaire. Mais la cheville ouvrière était bien Vidal lui-même, qui avait pris en charge le secrétariat. Il y avait également une liste de membres honoraires : Edmond Audran, de l’Opéra-Comique, professeur au Conservatoire de Marseille, Félicien Agard, conseiller municipal d’Aix, le chanoine Charbonnier, ancien organiste de la métropole Saint-Sauveur, Charles Chaubet, homme de lettres à Paris, Maître Contencin, avocat, président du Cercle musical d’Aix, Féraud-Giraud, président du Comice agricole d’Aix, Jean-Baptiste Gaut, félibre et homme de lettres à Aix, Martelly, poète provençal et compositeur à Pertuis, Poncet, maître de chapelle à la métropole d’Aix, Charles de Ribbe, avocat, conseiller municipal d’Aix, Sylvain de Saint-Etienne, homme de lettres à Paris. Sans doute ces membres étaient-ils choisis pour leur prestige et leur entregent éventuel auprès des autorités. Il est plus étrange que les archives de Vidal n’aient mentionné aucune liste précise des membres et qu’il ne soit pas question de statuts. C’est tout juste si, par recoupement, il est possible de trouver quelques noms de musiciens, d’ailleurs peu représentatifs, ayant participé aux activités de l’Académie du Tambourin : Pazery, Maximin Girard, de La Fare, Pierre Boutin. L’Académie du Tambourin était donc peu structurée. Ceci n’a rien de bien étonnant si l’on sait que les groupements félibréens ont longtemps fonctionné dans une absence quasi totale de règlements. On comptait sans doute sur l’enthousiasme et la bonne volonté pour y suppléer…

Il est vraisemblable que les tambourinaires étaient conviés pas courrier à des rencontres plus ou moins régulières et informelles, notamment lors des fêtes votives du terroir d’Aix : fête de la Saint-Marc à Meyreuil, plantation du mai devant la demeure des membres d’honneur de l’Académie du Tambourin (1867).

Il y avait enfin la participation à l’organisation des concours de tambourin qui, selon le souhait de Vidal commençaient à apparaître. Ainsi, au Concours de Pertuis du 16 août 1866, Vidal et Gaut figuraient au jury. Des membres de l’Académie se produisirent hors concours à Cavaillon, le 2 septembre 1866 et à deux reprises au Concours d’Aix du 18 avril 1869. Au programme figuraient volontiers les œuvres de leur chef, Gaspard Michel.

Après la guerre de 1870, en raison peut-être des événements, l’Académie du Tambourin ne fit plus beaucoup parler d’elle. En 1883 Lombardon, dans sa Notice sur le Tambourin, en parle déjà au passé. Cependant, en 1889, lors de l’Exposition Universelle pour le centenaire de la Révolution, une bande de tambourinaires fut envoyée à Paris sous le nom d’Académie du Tambourin. Le répertoire musical de leur intervention fut imprimé par les soins de Vidal, avec un exemplaire sur peau de tambourin (!) destiné à Paul Arbaud, le célèbre bibliophile, qui était aussi leur mécène. Il est bien dans la ligne des “airs nationaux” chers à Vidal avec pour seule exception quelques airs félibréens et les compositions de Michel.

A la suite de ces manifestations Le Mémorial d’Aix du 14 septembre 1889 se fit l’écho d’un article paru dans la presse parisienne sous le titre “Le Tambourin à Paris” : «S’il faut en croire les journaux de Paris le tambourin n’aurait produit, ainsi qu’il fallait s’y attendre, qu’un médiocre effet parmi les musiques pittoresques. Voici ce qu’en dit le chroniqueur musical du Temps : “Le galoubet peut être pittoresque en Provence, la cornemuse peut l’être dans les Abbruzes, en Auvergne ou en Cornouaille... mais dans la salle du Trocadéro ! Aussi tel instrument a-t-il produit un effet grotesque, tel autre, le galoubet surtout, a été d’une mesquinerie inattendue... L’Académie du Tambourin d’Aix n’a pas brillé ; ses membres ne jouent même pas à l’unisson ; tantôt l’un tantôt l’autre - car je suppose que ce n’est pas toujours le même - fait avec son galoubet un accompagnement de fantaisie ». Et le journaliste du Mémorial d’ajouter : «Nous ne sommes pas de ceux qui aiment à sortir les choses du cadre pour lequel elles sont faites. Le tambourin mérite d’être encouragé en Provence, il est déplacé au Trocadéro».

Ce compte rendu est assez troublant. Sans doute pourrait-on penser, comme on l’a fait peut-être à Aix, à quelque racisme anti-provençal. Le journaliste - Vidal lui-même sans doute - avance l’excuse de la nature agreste du tambourin. Plus sérieusement on peut se demander si le jeu de cette équipe, qui avait sans doute vieilli, était assez négligé. En outre on se doute que, là encore, on avait cherché à faire un “coup” publicitaire avant de soigner la qualité musicale. S’il est d’ailleurs possible de retrouver des documents invitant des tambourinaires à telle ou telle manifestation, nous n’avons pas trace de répétitions ou de séances de travail, et pour cause.

Quoi qu’il en soit il semble bien que cette manifestation ait été la dernière. Cet échec relatif auquel s’ajoutait la disparition de la classe du Conservatoire a sans doute quelque peu découragé Vidal, qui ne semble plus avoir tenté de raviver ou de reformer sa compagnie.

Vidal pensait bien faire en engageant l’instrument dans la voie d’une “folklorisation” dont il a encore du mal à se défaire dans l’esprit du grand public. Si elle a contribué puissamment à sauver l’instrument provençal, son entreprise a sans doute échoué par manque de professionnalisme. Il est vrai qu’à son époque on croyait encore au mythe romantique selon lequel l’enthousiasme tiendrait lieu de métier ! Le fait que le tambourin soit désormais sérieusement enseigné en Conservatoire depuis plus de 30 ans a permis la réalisation des vœux de Vidal. Ainsi en 1989, cent ans après que la première Académie du Tambourin ait fini sa carrière, une jeune équipe issue du Conservatoire d’Aix se constitua et souhaita se rattacher à sa devancière en reprenant ce nom qu’elle s’efforce d’honorer.

Maurice Guis