postheadericon Cahier de l'A.d.T. n°8 : "Un tambourinaire marseillais au siècle des Lumières"

EDITORIAL
"Receuil de plusieurs airs en Musique mis au net pour le flutet par moy jean Raymond Cavaillier en l'année de grâce 1771 "


Comme son contemporain Arnaud, Jean-Raymond Cavaillier (nous conservons l'orthographe un peu curieuse de son nom) semble pour l'instant sorti de l'Histoire. Si pour le premier, Rémi Venture a pu commencer à lever le voile, en ce qui concerne le second nous en sommes encore réduits aux suppositions en espérant le hasard heureux qui nous permettra de mieux le connaître. On a tout lieu de penser qu'il était marseillais car il semble avoir plus ou moins fait partie de la bande de tambourinaires qui sous la conduite d'Arnaud avait accueilli le comte de Provence, futur Louis XVIII, lors de sa visite à Marseille le 21 juillet 1777. C'est d'ailleurs grâce à son document que nous connaissons la Marche du Prince composée par Arnaud à cette occasion (cf. Cahiers de l'Académie, 1e série, n°3, L'Œuvre des Arnaud, Aix-en-Provence, 1992, p. 49.) Peut-être même s'agit-il d'un marin compte tenu de la mention : "copié à bord du vaisseau L'hugues le 17février 1736, copié en mer vers Malaga" en marge de la contredanse La Malbrouk.
Le recueil de Jean-Raymond Cavaillier est d'une étonnante richesse : 300 pages, soit plusieurs centaines de morceaux dont 104 menuets, 74 contredanses, une demi douzaine de rigaudons, des chaconnes, des aubades, plusieurs ouvertures et des suites souvent transcrites d'œuvres baroques ou classiques (Lully, Mozart, Grétry, Rameau...) de nombreuses ariettes et romances à la mode, entre autres. On en trouvera deux photographies à la page 120 de l'ouvrage Le Galoubet-tambourin instrument traditionnel de Provence, par Maurice Guis, Thierry Lefrançois et Rémi Venture (Edisud). Des noms de musiciens locaux y reviennent fréquemment : Arnaud, Séveran, Beck, Dévisse, Castellan.
Ce précieux document est passé des mains de l'érudit salonnais Gimon à celles de François Vidal, l'auteur du Tambourin, puis de Ludovic de Lombardon-Montézan, auteur de la remarquable Notice sur le tambourin et les instruments de musique provençaux. En 1950 il figurait dans les archives musicales d'Alexis Mouren, le chocolatier-tambourinaire virtuose de Marseille. Sa fille le transmit à Maurice Maréchal, cosignataire du présent document, qui l'a enfin donné à Maurice Guis.
Pendant un demi-siècle, plus précisément entre 1950 et 2003, des "écrémages" successifs de ce précieux recueil ont permis la diffusion de pièces oubliées comme Entrée de salle, Air de grâce, compositions diverses des Arnaud, de Séveran, d'Audibert et autres musiciens locaux ainsi que la réinsertion dans notre répertoire d'œuvres empruntées aux auteurs classiques : Mouret, Lully, Grétry, Mozart, Rousseau... "mises au tambourin" par nos lointains prédécesseurs. Par ailleurs Maurice Guis en a extrait de nombreuses pages interprétées par Le Concert Champêtre puis par l'Académie du Tambourin : Suite "factice" de Séveran, Ouverture du Devin du Village de J.J. Rousseau, Airs de ballet du Bourgeois Gentilhomme... En outre l'Académie du Tambourin a déjà fait largement appel à ce recueil pour ses Cahiers de L’Académie du Tambourin notamment pour l'édition des Œuvres d'Arnaud père et fils (lère série, n°3, 1992), les deux numéros consacrés aux Petits maîtres du tambourin provençal (2e série, n°l et 2, 2003-2004), celui consacré aux Reflets de L’Histoire (n°4,2006) et aux Musiques pour toutes solennités (n° 6, 2008).
Quelque 250 ans après que Jean-Raymond Cavaillier les eût transcrites (à la plume d'oie !) sur son impressionnant carnet nous vous proposons encore une cinquantaine de pièces charmantes qui sont le reflet exact des goûts musicaux d'un Provençal du Siècle des Lumières, d'ailleurs fort semblables à ceux de tout honnête homme de son époque. On voudra bien remarquer que si certaines de ces œuvrettes donnent parfois dans la mièvrerie (l'homme sensible !) aucune ne présente la moindre trace de vulgarité ! Les anciens tambourinaires, s'ils jouaient fréquemment en plein air, ne pratiquaient pas ce qu'il est convenu d'appeler "la musique de rue", d'importation récente. Evidemment, si nos devanciers avaient été musiciens routiniers nous n'aurions pas le plaisir de proposer à nos confrères ces extraits du riche répertoire de Jean-Raymond Cavaillier...
Les airs rassemblés dans ce numéro font partie des pièces "utilitaires" mais néanmoins charmantes qui sont monnaie courante dans les recueils des anciens tambourinaires. Les voici dans une version à laquelle Maurice Guis a ajouté, à toutes fins, une harmonisation dont l'original était le plus souvent dépourvu. On notera que les contredanses sont d'un niveau technique un peu plus simple que celles léguées postérieurement par les Bicay, Mabilly et autres environ un demi-siècle plus tard. Les Anglais ont conservé ce style plus champêtre.
Maurice Guis - Maurice Maréchal